S'il n'est plus là, qui nous sauvera ?
« Une vie n'est faite que de phrases, de son et d'impression. Un artiste se doit de les transmettre pour augmenter le champ du possible de chaque individu. » Telle était la philosophie de vie de Richard B, le dernier grand poète visionnaire de notre modernité. Humble, il aimait s'imaginer comme un simple clou dans notre espace mental. « Je ne suis qu'un messager... Ou un photographe de guerre si vous préférez. Je dois suffisamment séduire pour que le public m'accueille en lui. Mais il faut aussi une aspérité pour que je ne parasite pas le plus important, les chansons qui ne sont que des photographies du réel ». Il se voulait révélateur, corps neutre ou nos vies s'impressionneraient. La vie, dans sa multitude et grouillante, il la portait en lui. C'est aussi beau une ville le jour était le résultat de son immersion dans les bas fonds parisiens, là où l'on passe du dénombrable à l'indénombrable, cette barrière intellectuelle qui nous fait passer du concret à la masse anonyme, ce moment où les statistiques et les sondages sont les seuls modes de communication. « C'est comme communiquer avec les morts, noyé dans la masse, l'enfant à côté de vous n'est peut-être que le 0,33 éme de sa famille. Ce n'est pas suffisant pour vivre. Je veux que les corps redeviennent entiers ». Il nous en promettait même plus pour sa nouvelle tournée qui débutait hier au Zénith. « Je l'ai toujours dit, je dois tout à mon public. Ce soir, j'irai plus loin. Ma musique, ce sera eux. On distribuera des cardiomètres citoyens – ils sont biodégradables - à l'entrée de la salle. À chaque battement de cœur, il y aura un bip. Ils ont un cœur gros comme ça, je veux que ça se sache ». Rythmer sa poésie urbaine de la solitude des masses par une véritable section polyrythmique néo africaine. Telle fut sa dernière réponse au postmodernisme. « Cette obsession des transports en commun me fascine. » Anti-postmoderne mais vrai moderne, c'est en tout logique qu'il n'a pas fermé sa porte à la nouvelle génération. Grand Corps M fut le premier de ce qui aurait du être la longue série de ses découvertes et avec qui il comptait partager sa scène. « Ce n'est pas un mythe, il passe réellement beaucoup de temps dans les transports en commun. Moi, je me documentais pour ce spectacle, voir la vie, le vrai... Il m'a tout de suite touché. Il était là, collé derrière moi dans ce bus bondé, mais il a une vraie présence. Et son histoire est si poignante... Cette obsession des transports en commun me fascine vraiment. Sur scène, il est un vrai plus, il me permet de m'effacer encore plus. Avec lui, je me veux juste une sorte de deuxième canne. C'est un symbole important pour moi, il y a une dignité à être debout, à faire un tout avec la société. Mais il n'y a plus de société, juste une masse, et debout, il n'est que la virgule d'un nombre qui n'est plus entiers. Quand je le mets sur ma scène, il n'y a plus de masque ou de faux semblant. Il est lui. Et c'est important d'être soi. » « On est des poètes bordel ! » Prit sous son aile, c'est une vraie complicité qui a pu débuter, emmailler de visite, d'amour et de combat commun. « J'ai pu explorer son univers. Je suis allé chez lui... Il a une collection extraordinaire de cartes orange, de ticket... C'est un vrai musée. Il m'a expliqué que son goût pour l'improvisation venait de là. Entre le temps qu'il passe pour sa collection et celui qui est passé dans les transports en commun, il n'a plus eu le temps d'écrire alors qu'il était porté par un flot d'émotion si fort. Je vais vous dire, au fond, on est pareil, il a un cœur gros comme ça et on a besoin de donner. Et quand il slamme, c'est tout l'amour qu'il accumule dans le métro qu'il offre en retour. » Alors lorsque la polémique gronde sur les propos de Grand Corps M, c'est en grand frère que Richard s'emballe et balaye les rumeurs les plus odieuses. « Je vais vous dire, ce sont des pisses vinaigres qui ne connaisse rien et qui ne comprennent rien à rien. Oui, il ne prend jamais le bus, juste le métro. Et alors ? C'est un poète bordel ! On est des poètes bordel ! »
|
« Une histoire de chiffre et de math, tout sauf de la poésie » « Je suis venu à pied seul depuis le métro. » « C'est comme les lycées pour fille » Ce que l'on sait de source sure, on le tient du voisinage. Peu à peu, les cœurs se sont mis à battre à l'unisson. La qualité du spectacle ? Sûrement, mais pas seulement si l'on en croit Gérard M. Interrogé par nos soins : « On constate dans les lycées pour fille que la périodicité des règles se cale presque toujours sur celui de la jeune fille qui est vu par toutes comme étant celle qui réussit le plus, ou qui est la plus belle, bref celle qui est à imiter en quelque sorte - même jusqu'au plus profond de son intimité. Il faut quelques mois pour que le phénomène se réalise, mais c'est dû à la périodicité bien plus longue que celle des battements de cœurs. Comme un briquet qui s'allume au début d'un slow et qui entraîne les autres. Les cœurs ont dû s'embraser les uns après les autres. Trop désireux de vivre ». Les conclusions de la police, quant à elles, non rien de définitives. Mais elles semblent corroborer les théories de Gérard M et le communiqué de presse du label. À la grande surprise de Richard B, les cœurs battaient donc à l'unisson. Et c'est le drame. Dans la foule devenue anonyme, un portable sonne. Le cœur le plus proche – peut-être celui du propriétaire, l'enquête peine à l'établir- surpris désire se caler sur cette sonnerie au rythme enlevé, il accélère. Par mimétisme, l'accélération se propage. Mais malheureusement, tous les cœurs de l'assemblée ne sont pas jeunes et vigoureux. Certains lâchent et les crises cardiaques fauchent donc une part difficilement quantifiable de l'auditoire. L'enfer débute. « Il ne méritait pas ça» Les cardiomètres des morts se lancent dans un long bip continue, un drone qui sera momentanément rythmé anarchiquement par les cœurs plus résistants. Certains accélèrent dans l'espoir d'arriver à produire ce son continue. D'autres ralentissent. Les couples les plus fusionnels décalent leur battement pour que celui de monsieur battent quand celui de madame ne bat pas et inversement. Mais les changements sont si rapide et si brutal que tout c'est fini en une symphonie de drone apocalyptique. Telle fut sans doute la dernière image vue par Richard B. Les causes de sa mort sont encore inconnues, mais ses yeux hallucinés et le sang séché à proximité de ses oreilles laissent imaginer qu'il a dû mourir dans la souffrance de voir et d'entendre ce qui donnait tout son sens a sa vie, se transformer en une mer informe de corps disloqués. Il ne méritait pas ça. Nous ne méritions pas de perdre notre plus fine plume.
|